jeudi 3 décembre 2009

JARDIN CORPS ET ÂMES (Festival de Jardins Chaumont 2010)





Heureuses les lèvres de chair !

Leurs baisers se peuvent répondre ;
Et les poitrines pleines d'air !
Leurs soupirs se peuvent confondre.

Heureux les coeurs, les coeurs de sang !
Leurs battements peuvent s'entendre ;
Et les bras ! Ils peuvent se tendre,
Se posséder en s'enlaçant.

Heureux aussi les doigts ! Ils touchent ;
Les yeux ! Ils voient. Heureux les corps !
Ils ont la paix quand ils se couchent,
Et le néant quand ils sont morts.

Mais, oh ! Bien à plaindre les âmes !
Elles ne se touchent jamais :
Elles ressemblent à des flammes
Ardentes sous un verre épais.

De leurs prisons mal transparentes
Ces flammes ont beau s'appeler,
Elles se sentent bien parentes,
Mais ne peuvent pas se mêler.

On dit qu'elles sont immortelles ;
Ah ! Mieux leur vaudrait vivre un jour,
Mais s'unir enfin ! ... dussent-elles
S'éteindre en épuisant l'amour !





René-François SULLY PRUDHOMME   (1839-1907)




Et si les jardins avaient le pouvoir de réconcilier les âmes? Retrouvons à travers ce jardin le sentier battu par Juvénal au premier siècle de notre ère : « Un esprit sain dans un corps sain ». C’est cette voie que les humanistes de la renaissance redécouvrirent. Voici bien une idée enfuie dans la terre de Chaumont, sous nos pieds, qui n’aspire qu’à fleurir.

Les jardins favorisent immanquablement le rapprochement des corps, mettant les perceptions des visiteurs au diapason et battant la mesure des cœurs. Et si maintenant les jardins devenaient ce lieu de tolérance et de réflexion apaisée jumelant les cultures, mariant les croyances et unissant enfin les âmes!



Le jardin est le catalyseur d’une réflexion intime autour de l’homme en tant qu’individualité corporelle et spirituelle immergée dans notre monde contemporain. La pureté assumée de sa composition veut libérer le champ des réflexions sur les enjeux et les contradictions de notre époque. En convoquant dans sa conception les références communes aux jardins arabo-andaloux et aux jardins thérapeutiques, ainsi qu’en attachant une importance particulière au choix d’espèces végétales rustiques, souvent sauvages, aux milles vertus alimentaires (poireau, blé, muscari, …), thérapeutiques (gentiane, sauge,…), sensorielles (lavandes, chardons des alpes,…), mellifères,  sensitives (mimosa pudica) ou psychomimétiques (ipomée,…), Burqa offre un terrain de méditation et de partage sur bien des sujets majeurs de notre société.



Le jardin est structuré à partir d’un massif central aux tonalités bleues, ceinturé d’une circulation et percé d’un îlot doré inaccessible :
-        L’îlot, bivalent, irradie de lumière le visiteur à son entrée dans le jardin et obstrue la perception globale du jardin. Il ne laisse découvrir son cœur de graminées, dynamique et tendu vers le ciel, qu’au fil de la promenade jusqu’au fond de la parcelle.
-        Le massif bleu aux énormes proportions se pare d’atour changeant d’Avril à Novembre pour régaler les sens des visiteurs. L’étagement de ses plantes conduit le regard jusqu’à l’îlot.
-        La circulation est travaillée comme un tapis réfléchissant de miroirs pilés qui rivalise d’intensité avec l’îlot et renvois l’enveloppe corporelle fragmentée à l’extrême du visiteur.

La curiosité est excitée par le contraste fort des lumières et des couleurs et par l’intrigant aménagement. Elle conduit le visiteur à circuler jusqu’au fond de la parcelle et pourquoi pas à marquer une halte propice à la méditation et au repos autour de miroirs d’eau intégrés dans le sol.

L’éclairage nocturne révélera le « négatif » du jardin en renvoyant le massif central au second plan au profit de la lumière jaillissant du sol et du cœur de l’îlot isolé.

Le souci apporté sur le détournement d’éléments de récupération (dans la conception des sièges ou la création des allées) et la redécouverte de plantes souvent modestes pour leurs qualités concourt également à présenter les jardins comme des lieux d’expérimentations responsables et universelles.



De la dualité de l’âme et du corps.
Si l’idéal humaniste prône la réunion des deux parties d’un même tout que sont le corps et l’âme, chaque société développe des relations particulières à l’un ou à l’autre.  Ainsi l’importance gargantuesque donnée au corps ces dernières décennies en occident s’oppose radicalement à la négation du corps féminin parfois observée parmi quelques communautés radicales.
Avec l’avènement de l’image reine, le corps acquiert une importance disproportionnée. Le massif central couvrant la majeure partie de la parcelle caractérise ce corps omniprésent et omnipotent. La forme même du massif épouse celle de la parcelle et suit les lignes tracées par le sentier pour souligner comment le corps peut être façonné par le contexte, comment il peut rester prisonnier dans son enveloppe. En rupture profonde, l’étincelle dorée de l’îlot révèle les richesses enfouies de l’âme pour sublimer et libérer l’individu.

Du rapprochement des corps et de la solitude des âmes.
Le poète le crie, les corps sont éphémères mais accessibles et généreux. Le rapprochement des corps est aisé une fois les limites de la pudeur (Mimosa Pudica) dépassée. Les âmes sont quant à elles immortelles mais volatiles et fuyantes. L’îlot de graminées, inaccessibles et isolées, suggère peut être ceci. Ces formes élancées, fragiles, et mouvantes sont couleur d’or. Leur noblesse vitalisent la parcelle toute entière. La lumière circule, de jour comme de nuit, entre les éléments de la composition, du corps à l’âme, de l’âme vers le corps. C’est toute l’utopie contenue dans le jardin que les visiteurs seront amenés à vivre. 




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