vendredi 29 janvier 2010

L'approche biaise




L’ exemple du Palais Farnèse selon Bruno Zévi


Dans « Langage moderne de l'architecture » B. Zevi lutte contre la symétrie et la perspective centrale en architecture. Les édifices d’une ville ne doivent pas se comporter comme des objets finis, autonomes et donc auto-suffisants et l’angle constitue « la charnière de tout paysage urbain » :
« En théorie, le mouvement perspectif aurait dû exalter la profondeur. Tout volume aurait dû la souligner par ses raccourcis sur l’angle ; l’angle aurait dû devenir l’élément moteur du prisme et au lieu de l’isoler, l’aurait rendu partie intégrante du contexte urbain.

extrait de "Langage moderne de l'architecture" de B. Zévi

Prenons par exemple le palais Farnèse à Rome : c’est une boîte, d’accord ; on ne pouvait pas faire autrement en utilisant le langage perspectif ; pourtant avec des murs en biais, fuyants, il aurait donné une impulsion dynamique à la ville. Evidemment les angles auraient été tous différents les uns des autres ; celui qui donne sur le place aurait été éclatant et les autres discrets, pour ne pas interrompre la continuité des rues…Naturellement rien de tout cela. Le palais Farnèse ne transmet aucune réalité stéréométrique, il se décompose en un front principal, des murs imposants qui surplombent les ruelles latérales et, derrière, une façade presque indépendante. Le volume est une fin en soi, achevé, dépourvu de contact avec ce qui l’entoure, comme parachuté ; en tant qu’objet tridimensionnel, il n’est visible que d’avion. » (B. Zévi)


L’ Exemple de l’Acropole
Plan de l' Acropole

 
Selon C .Norberg-Schulz les temples grecs sont des corps individualisés déterminés par le caractère du lieu qui participent de la situation symbolisée par le site en "n’admettant aucun groupement géométrique qui pourrait symboliser un ordre général plus abstrait". La perception est alors asymétrique et non frontale car le visiteur n'est pas prévu pour être au centre de la perception. C'est à lui d'établir son propre parcours au sein d'un espace avant tout modelé par des édifices dialoguants et orientés par le caractère du lieu et le paysage deifié.

Une approche différente est faite par A. Choisy en ce qui concerne l'Acropole. Selon lui, "les vues d'angle sont celles que les anciens cherchent en général à ménager. Une vue d'angle est plus pittoresque, une vue de face plus majestueuse : à chacune son rôle; la vue d'angle est la règle, la vue de face une exception toujours motivée." En parlant du temple de la Victoire Aptère, il précise que "c'est encore par une déviation d'axe et par une dissymétrie en plan que Mnésiclès l'agrandit. Il dirige l'axe des Propylées de manière que le temple de la Victoire tourne sa face droit vers l'entrée".
Plus loin il ajoute que "C'est pour l'instant où l'on franchit la porte extérieure que toutes les inclinaisons d'axes sont calculées dans l'ensemble des Propylées. De même c'est de la porte des Propylées que l'Acropole doit apparaître sous son plus magnifique aspect. A droite le Parthénon, à gauche et à une distance moindre, pour compenser l'insuffisance de la masse, la gigantesque figure de la Minere Promachos. Mais ce n'était point assez d'exagérer les dimensions de cette statue pour lui assurer dans l'ensemble toute l'importance qu'elle doit prendre en face du temple dont elle balance l'effet : Phidias la met en relief par une déviation d'axe. Placée au milieu d'édifices tous orientés dans le même sens, la Minerve Promachos incline sur la commune direction de temples son large piédestal; elle se dessine par là comme une chose à part au milieu de l'Acropole; elle fait face à l'entrée et la dissymétrie qu'elle présente attire sur elle les regards plus vivement peut-être que la richesse de ses bronzes, ou sa hauteur de quatre-vingts pieds."
" S'agissait-il de mettre en évidence une statue, soit même un temple, nous savons quelles ressources ils trouvèrent dans la déviation des axes pour fixer les regards et commander l'attention."
Dans son histoire de l'architecture, A. Choisy parle d' une lecture de l’approche de l’acropole agencée autour de la succession de quatre images clés à hauteur humaine. Asymétrie et approche biaise exaltent le jeu des volumes. La présence de ces quatre séquences structure l'image globale du lieu. Le Parthénon et son large escalier asymétrique perçus en contrebas des Propylées sont approchés de biais selon un parcours ascendant. Puis c'est au tour de l'Erechteion d'être perçu de trois quarts.

Extrait de "Histoire de l'architecture", tome I, de A. Choisy


Dans « Vers une architecture », Le Corbusier sans doute influençé par l'analyse de Choisy sur l'Acropole, insiste sur l’intensité des volumes nés de désaxements : "Les fausses équerres ont fourni des vues riches et d’un effet subtil ; les masses asymétriques des édifices créent un rythme intense. Le spectacle est massif, élastique, nerveux, écrasant d’acuité, dominateur... l’Acropole étend ses effets jusqu’à l’horizon. Des Propylées dans l’autre sens, la statue colossale d’Athéna, dans l’axe, et le Pentélique au fond. Ca compte. Et parce qu’ils sont hors de cet axe violent, le Parthénon à droite et l’Erechthéion à gauche, vous avez la chance de les voir de trois quarts, dans leur physionomie totale. »

Cette exaltation de la vision volumétrique se fait donc au détriment de la force de la présence du caractère de la façade. La forme pleine qui n’est plus perçue frontalement perd de sa force symbolique au bénéfice d’une sensation spatiale plus affirmée par la perception des volumes.
Dés lors l'édifice perçu de biais ne s'appréhende  plus comme une fin en soi mais plûtot comme une sorte d'élément  d’inflexion au service de la lecture d'un espace plus ouvert et toujours en fuite.
Percevoir le bâti de biais ou de face n'est possible  que par la présence de volumes angulaires, d'une orthogonalité et  de mouvements canalisés (rues, routes etc…), ce qui n'est plus le cas pour un nombre toujours plus important d'architectures biomorphiques nées de l'informatique.




Le Parthénon en l'état actuel, vu des Propylées


 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,
La promenade pittoresque décrite par Choisy, c'est-à-dire l'arrivée de biais sur le bâtiment, est une des clefs de l'architecture de Fernand Pouillon, et de sa réussite. Même lorsqu'il était libre de l'implantation, il a toujours choisi le biais et la vue de face n'est choisie que de temps à autre pour un effet particulier.